Nando Bodha : Beaux Songes (extrait)

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Cet extrait du roman Beaux Songes de l’écrivain mauricien Nando Bodha* rappellera à certains lecteurs une réalité bien mauricienne, du moins à la campagne : le passage d'un cyclone.

Le crépuscule d’une nuit sans lune suivit une longue journée lugubre avec un ciel sombre et gris. Ce soir là, on parlait de cyclone et de tempête, mais pas un seul souffle de vent n’agitait les grands manguiers qui pliaient sous le poids des fruits et les longaniers en fleurs. Toute la journée, le ciel gris annonça un monstre, tapi dans le noir, attendant son heure.

C’est à la tombée de la nuit de dimanche que se signalèrent les premières rafales du cyclone capricieux qui avait maintes fois changé de trajectoire, et ralenti deux jours durant, comme pour reprendre des forces.

En quelques heures, il s’abattit sur le pays. Les arbres courbaient l’échine, les toitures de chaume s’envolaient, les éclairs éclataient, déchirant un ciel couvert de nuages noirs… Le vent venait par rafales, s’engouffrait partout dans un bruit infernal alors que les averses se faisaient cinglantes.

Kamal se jeta dans les bras de sa mère qui le serra contre elle. Le cyclone redoublait d’intensité, il y avait de moins en moins de temps morts entre deux rafales. Le vent s’énervait contre les arbres et se brisait contre les murs de bambous recouverts de boue séchée. La cabane prenait l’eau de partout. Il n’y avait plus de plancher. Les murs en pierre, tout autour de la bicoque, avaient fini par se fissurer et l’eau y cascadait.

Le vent était devenu terrifiant, la vieille cabane craquait n’opposant que ses poutres rongées par les termites. Il y avait des bruits bizarres, des feuilles de tôle qui volaient et heurtaient tout sur leur passage, des branches arrachées qui tombaient, aussitôt emportées.

Les arbres essayaient tant bien que mal de résister. Les bananiers furent par terre les premiers, leurs grandes feuilles jonchant le sol. Les mangues mûres s’écrasaient en tombant, leur pulpe jaune se répandant parmi les fleurs mortes des longaniers. Le tamélia, lui, tenait encore.

Les battants des fenêtres faisaient un bruit infernal. L’un d’entre eux s’ouvrit d’un coup avant de se refermer dans un claquement sec.

Quand la seule lampe s’éteignit, Phoolan poussa un cri et les enfants, devenus hystériques, hurlèrent de peur. Mohan essayait tant bien que mal de craquer une allumette dans le noir. La boîte, qu’il avait pourtant soigneusement cachée dans sa poche intérieure, était toute trempée. Il ne retrouvait plus la lampe de pétrole.

Il laissa échapper un juron. La boîte avait glissé de ses mains mouillées et gisait dans l’eau.

«Attends ; Suman, aide-le », cria l’aïeule.

Dans l’obscurité, la jeune femme chercha à tâtons une boîte à tabac cachée sous son matelas. C’était son trésor à elle, tout ce qu’elle avait de plus précieux : les deux paires de « batanas », les « guineas » et ses maigres économies, soit quelques sous et des billets de cinq roupies pliés avec soin. Elle réussit à extraire des allumettes. A genoux dans la boue, elle alluma la lampe. La flamme vacilla et s’éteignit à la première rafale ; alors, elle la plaça sur une chaise en bois, dans un coin à l’abri du vent. A cette lueur dansante, elle remarqua la terreur dans le regard des deux enfants. Elle les installa sur le lit car le niveau de l’eau ne cessait de monter. La grand-mère prit place à côté d’eux, se couvrant d’un grand sac de « gouni ».

Il y eut un bref moment de silence puis une nouvelle rafale interminable sembla vouloir tout balayer sur son passage. Un des grands manguiers gémit et s’écroula, évitant de justesse la vieille bicoque.

 

*Nando Bodha est l'actuel Ministre du Tourisme du Gouvernement mauricien.

 

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Dernière modification : mardi 29 mai 2001.